i
Texte
×
Bhopal, des saris pour mémoire
Fallait-il déposer devant elles ces saris imprimés de coupures de presse racontant cette nuit de décembre 1984 où un gaz mortel s'est échappé de l'usine chimique Union Carbide, d'imageries médicales, du squelette de l'usine qui rappelle que la page n'est pas tournée ? Elles les ont dépliés, s'en sont drapé et m'ont regardée ou ont préféré m'offrir leur dos, juste leur silhouette comme une image figée.
Elles ont accepté mon idée. Les faire poser dans ces saris imprimés. Elles ont accepté que Bhopal leur colle encore un peu plus à la peau. Certaines sont des combattantes inlassables. Elles réclament réparation pour les 3 500 morts directs et les 200 000 malades qui se sont ajoutés au fil des années. Elles descendent dans la rue pour réclamer aux autorités qu'elles nettoient le site qui continuent de polluer. Elles souffrent, aussi, mais n'en disent pas grand-chose parce qu'il faut bien avancer. Directement ou indirectement touchées, leur dignité m'a émue. Elles restent femmes et c'est aussi ce que disent ces broderies qui bordent les saris. J'ai voulu que ces mouvements de drapés et ces regards forts et doux à la fois s'imposent à nous et se détachent sur ces images qui nous rappellent ce qu'a été Bhopal et ce qu'est aujourd'hui cette ville indienne dont le nom est définitivement lié à une catastrophe qui aurait pu être évitée. Alors oui, il me fallait déposer devant elles ces saris. Elles les portent comme un défi et j'aime qu'elles soient belles de ce combat.