Les fruits amers de la partition
L a partition de l’Inde en août 1947, les trois guerres indo-pakistanaises (1947, 1965, 1971) et, la création du Bangladesh en 1971 ont provoqué l’une des plus grandes convulsions de l’Histoire. Pendant plusieurs décennies, parce que deux communautés religieuses n’arrivaient pas à s’entendre, plus de vingt millions de personnes ont été déplacées, plus de quatre millions sont mortes, des milliers de femmes ont été violées, enlevées, des familles séparées, des suicides collectifs, des maisons détruites, des propriétés perdues. Alors que la partition était censée calmer les tensions interreligieuses, qu’en est-il aujourd’hui ? Ces tensions persistent. L’Inde, la plus grande démocratie du monde fondée sur la diversité religieuse et culturelle, est en train de devenir une démocratie ethnique, hin- doue, gouvernée par le populisme national. Le Pakistan est une république islamique. Les deux malmènent leurs minorités. Chacun à sa manière. En 2019, l’Inde a adopté une loi très controversée, le Citizenship Amendment Act, qui prévoit la régularisation de tous les réfugiés arrivés avant 2014, qu’ils soient hindous, sikhs, chrétiens ou bouddhistes qui ont fui l’Afghanistan, le Pakistan ou le Bangladesh « pour des raisons religieuses ». Les réfugiés musulmans sont eux exclus de cette loi et resteront sans papiers, sans droits. Pour ceux qui en plus n’arrivent pas à prouver leur citoyenneté demandée par le NRC (National Registration Citizen), c’est la double peine. Ils deviennent des « doubtful Citizen » et peuvent être enfermés dans des centres de rétention. Des discours haineux fleurissent sur les réseaux sociaux et ne font qu’attiser la haine contre les musulmans. Au Pakistan, les hindous fuient encore maintenant un pays de moins en moins tolérant à leur égard. À tel point qu’au Pakistan, les hindous ne représentent plus que 5 % de la population, contre 20 % par le passé. Au Pakistan, la peur est leur lot quotidien, peur des conversions forcées, des enlèvements, des agressions, des lynchages, des discri- minations et des chantages. Alors, bien qu’ils sachent que l’obtention de la nationalité indienne sera extrêmement aléatoire, et parfaitement compromise sans argent, ils choisissent de quitter leur pays. Ils prennent le risque de vivre pendant des années dans des camps de fortune et dans l’attente d’une régularisation de leur situation. J’ai divisé mon travail photographique en deux grandes parties. La première partie a été consacrée à la rencontre des survivants de la partition de part et d’autre de la frontière, à les interviewer, les filmer, les photographier, avant qu’il ne soit trop tard. Mais aussi marcher avec eux, rechercher des traces, des lieux, regarder et photographier leurs archives familiales s’ils en avaient, ainsi que les objets conservés. La seconde partie de ce travail documentaire est un état des lieux des conséquences encore visibles de cette partition. Elle est aussi un plaidoyer en faveur de ceux qui vivent au quotidien ses conséquences injustes, près de soixante-quinze ans après son application. Un plaidoyer en faveur de ceux, souvent sans voix, qui se battent encore pour faire reconnaître leurs droits.
RkJQdWJsaXNoZXIy NTUyMzI=